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Cette page évoque ma découverte du piano, la formation que j'ai reçu, jusqu'à mes premières expériences de compositeur. C'est aussi une photographie de l'enseignement de la musique et des expériences d'un jeune musicien à une époque bien différente de celle d'aujourd'hui.
"On ne naît pas artiste, mais on le devient". Il est toujours passionnant de comprendre les raisons qui conduisent un enfant à se passionner pour un art jusqu'à le pratiquer. Bien souvent, les premiers pas entraînent d'autres pas jusqu'à dessiner une personnalité, et c'est dans cette personnalité que surgit, à l'occasion, quelques singularités artistiques.
Du plus loin que je me souvienne, tout a commencé à l'âge de quatre ans, en 1961, chez les sœurs de l'école catholique de Saint-Pierre, à Sète, petite ville héraultaise où je suis né. Sur place, il y avait un piano, et un jour, une dame âgée s'y était installée. Elle nous tournait le dos, mais le plus magique était d'entendre, pour la première fois, un son de piano ! Quelques instants plus tard, alors qu'elle avait fini de jouer et que les autres enfants étaient sorties dans la cour, j'étais resté seul, sagement assis. La dame âgée ne me voyant pas partir, se remit à jouer. Jamais je ne saurais ce qu'elle avait interprété. Certainement des mélodies enfantines.
Contrairement aux autres enfants, mon calme explique certainement que quelque chose s'était passé en moi. Cela devait se confirmer quelque temps plus tard chez une amie de ma mère, dont le fils pratiquait le piano. Le désir d'être au contact de l'instrument tout proche devait l'emporter, jusqu'à surprendre l'amie de ma mère qui lui fit remarquer que les notes que je jouais avaient un sens instinctivement mélodique.
L'idée faisant son chemin, à six, sept ans, mes parents envisageaient de me faire entrer au conservatoire, mais je n'éprouvais guère le désir d'y aller depuis qu'un copain de classe m'avait expliqué les "pratiques routinières" du lieu, comme la notation et les examens pour passer de classe en classe.
Ne me forçant pas, mes parents envisagèrent de partir à la recherche d'un professeur de piano particulier. La ville de Brassens ne proposait que peu de solutions au milieu des années soixante. De plus, entre-temps, et grâce à la télévision, j'avais pu découvrir et écouter un autre instrument : l'orgue Hammond.
Replacé dans le contexte de l'époque et avec mon regard d'enfant, l'orgue électrique, avec tous ces boutons que l'on manipule, représentait quelque chose d'extraordinaire. Sa sonorité affichait une modernité que je ne retrouvais pas avec le piano ; quelque chose d'inexplicable et de puissant. Or, personne ne proposait son apprentissage, et c'est "par défaut" que je me suis retrouvé à étudier le piano avec une prof visiblement dépassée, vu que je souhaitais apprendre les formes modernes de la musique et que son unique compétence se situait dans le classique.
Par chance, si l'on peut dire, l'année de préparation qui consiste à connaître les bases théoriques de la musique (à l'époque, sans jouer la moindre note au piano) s'était réduite à six mois au lieu d'un an ! C'est ainsi que je me suis mis à travailler des lectures de notes, des gammes, d'innombrables exercices techniques, des études (ennuyeuses), sans compter de nombreux "classiques favoris". Finalement, un parcours de conservatoire, mais sans être noté. C'était déjà ça ! Sauf qu'au bout de quelques années, avec un tel régime, si exigeant, et malgré mes progrès, le désir de passer à autre chose devait me pousser à abandonner Bach, Beethoven, Mozart et Cie avec lesquels je n'éprouvais plus la moindre émotion.
J'arrivais à l'adolescence, à un âge où il est parfois difficile d'expliquer avec des mots ce que représente intérieurement le désir d'emprunter une autre voie pour laquelle l'entourage n'est d'aucun recours. Grâce à la radio que j'écoutais régulièrement, j'avais développé une culture musicale importante vis-à-vis de mon âge. Tout en continuant d'élargir mon savoir dans le classique, je ne cessais de dévorer différentes cultures : jazz, rock et d'autres, comme les musiques africaines et indiennes ou encore la musique de films, souvent à des heures tardives, au grand dam de mes parents !
J'ouvre ici une parenthèse, car l'époque était extrêmement différente de celle d'aujourd'hui, sur tous les plans ! Face à l'étude des "musiques vivantes", l'apprentissage manquait d'opportunité. Dans une petite ville de province, c'était soit mourir artistiquement, soit tenter de s'ouvrir tout seul, mais sans réellement connaître les "bons codes" pour avancer.
Au lycée, j'avais un ami, pianiste de conservatoire. Nous avions pris l'habitude d'échanger nos premières compositions écrites. C'était passionnant, car notre approche était fort différente. Puis, ultérieurement, ce sera la rencontre avec un étudiant en faculté qui possédait un orgue électrique, et dont le jeu, visiblement influencé par Emerson, Lake et Palmer, m'avait vivement impressionné, tout comme le son de l'instrument.
À l'âge de 17 ans, j'écrivais mes premières compos possédant une certaine tenue. Aux musiques rocks et jazz, l'influence du classique était encore présente (une composition arrangée façon Bartók pour percussion et chœurs, en témoigne). J'avais surtout analysé que chaque style détenait sa porte d'entrée et que pour l'aborder, l'instruction ne permettait pas tout. Il était nécessaire de se prendre en main, à la façon d'un autodidacte, en développant une pratique personnelle. Pour aller de l'avant, c'était le seul moyen dont je disposais.
N'ayant à cette époque aucune base d'harmonie sérieuse, je me mis à relever des improvisations de pianistes de jazz pour décortiquer les mécanismes de la musique non écrite. Même si des noms comme Jarrett, Corea ou Hancock ont eu quelques influences sur moi, les pianistes élus n'étaient pas tous nécessairement célèbres. L'important était que leurs phrasés m'interpellent à des degrés divers. C'était laborieux, mais hautement instructif. Par la suite, un prof de piano jazz de Montpelllier (Christian Lavigne), me remit dans les rails avec la passion qui l'animait en m'enseignant les bases structurelles et harmoniques propres au jazz.
Par ailleurs, l'envie de s'initier à la musique avait été motivée, dès mes 9/10 ans, par cette "alchimie sonore" que l'on appelle l'arrangement et que j'avais découvert grâce aux orchestrations de Jean-Claude Petit sur les premières chansons de Julien Clerc en 1968 : La cavalerie, La Californie ou Yann et les Dauphins. Pour l'époque, cette modernité affirmée (venue en grande partie d'influences anglo-saxonnes) représentait un second levier dans mon désir d'étudier la musique. Cette idée tenace ne devait plus me quitter, jusqu'à parvenir à décoder les différents rouages des écritures instrumentales, jazz ou autres ; un travail que j'ai perfectionné des années plus tard avec le trompettiste/arrangeur Yvan Julien.
La troisième voie, qui boostera ce désir d'aller encore plus loin, viendra avec la découverte des synthétiseurs au cœur des années 70. Le travail sur le son, via ces claviers, puis la prise de son en studio, n'auront de cesse d'enrichir et de diversifier mon approche de la musique.
À 18 ans, stimulé par le désir de communiquer mon expérience, je me rapprochais de l'enseignement et de la pédagogie. Deux ans plus tard, après avoir pris part à l'organisation de spectacles au Théâtre Jean Vilar de Sète (Théâtre de la Mer), un grand ami de Georges Brassens, Henri Delpont, alors directeur du lieu, m'avait transmis sa confiance en me donnant l'opportunité de donner mes premiers cours sur la scène du théâtre municipal (théâtre Molière) et d'avoir été, sans aucun doute, le seul pianiste à enseigner dans ce lieu voué aux représentations.
De même que les rencontres forgent le musicien, je conserve également en mémoire ce souvenir singulier vécu avec le musicien Alain Hyrailles (pianiste et organiste bien connu des Sétois, aujourd'hui décédé), que j'avais écouté comme "sideman" au côté du trompettiste de jazz Bill Coleman. Quelques années plus tard, j'allais le retrouver sur ma route...
Au conservatoire de Sète, j'avais remarqué la présence de deux pianos à queue installés dans la salle de concert. L'occasion était trop belle, d'autant que je ne savais pas si une circonstance de la sorte se représenterait ! Au cours d'une après-midi, je composais une pièce jazz, à la tonalité moderne, pour deux pianos (Pulsions). En retour, Alain avait accepté la proposition et était devenu pour un soir de représentation, un pianiste visiblement heureux de m'épauler au deuxième piano.
Aujourd'hui, avec le recul, ce parcours qui est le mien, certainement avec des imperfections dues à d'inévitables errances, m'a toutefois autorisé une certaine liberté dans la manière de développer ma pratique instrumentale, d'orienter mes compositions et d'asseoir mes arrangements. Différentes expérimentations allant de l'acoustique à l'électronique, plus ou moins sérieuses, mais toujours enrichissantes, ne m'ont jamais enfermé dans un cadre définissable.
Alors que beaucoup de musiciens recherchent le perfectionnement en gage d'aboutissement dans un domaine précis, c'est dans la diversité que je me suis épanoui artistiquement. Contrairement à ceux qui constateraient dans cette approche un manque de stabilité ou d'ambition, cette attitude est devenue pour moi comme une seconde nature, un moyen d'élever mes pensées et mon autocritique. Je conserve même de la fierté d'avoir pu évoluer ainsi. Du reste, diversifier ses approches artistiques procurent plusieurs avantages, comme celui d'apprendre de ses erreurs tout en joignant des réponses à des questions qui se croisent, rebondissent, et qui ne se livrent pas nécessairement sans aller les chercher !